vendredi 5 novembre 2010

Des pneus...aux larmes

Étrange enchaînement de mots, j'en conviens

Voici l'histoire...

Ce matin, j’ai pris mon courage à deux mains et les pneus d’hiver de l’autre pour me rendre au garage.

Je suis une traumatisée des garages… j’haguis ça aller là… je me sens chaque fois comme une intruse, je suis toujours très mal à l’aise, je bafouille, je cafouille, j’ai juste envie de me sauver. Un jour je me psychanalyserai pour en connaître la cause profonde.

Aujourd’hui c’était la date limite que je m'étais fixée, je devais y aller. Je me rends donc au village, tourne sur la rue principale, entre dans la cours du garage. C’est en descendant de l’auto que je me suis rendue compte qu’il y avait quelque chose d’anormal. Dans mon souvenir, l’entrée était à gauche et la porte de garage à droite. Zut! Je n’étais pas au bon garage ! Pas question de retourner à l’auto pour faire demi-tour devant les trois hommes qui me regardaient, debout devant la porte. J’ai pris une bonne respiration, j’ai marché d’un pas assuré et je suis entrée.

Trois autres hommes étaient assis à l’intérieur et me regardaient… sans expression… en fait, ils avaient une expression, tous la même mais je n’arrive pas à la définir.

Je m’approche donc du gros monsieur à la grosse moustache derrière le comptoir et lui demande s’il faisait les changements de pneus.

Il hésite, regarde son calendrier, me demande mon nom de sa grosse voix.

Je m’appelle Fée mais vous n’avez pas mon nom, je n’ai pas de rendez-vous, faut prendre rendez-vous? Je vous téléphonerai, je reviendrai, c’est correct, c’est pas urgent, ça peut attendre… Je parlais plus vite que Louis-José Houde et je n’avais qu’une envie… me pousser.

Y’a pas de problème, on va le faire maintenant, qu’il me dit. Je lui remets les clés de mon auto. Je cherche où me placer. Les trois hommes occupent les trois uniques chaises du minuscule espace. Y’a qu’un tabouret, et il est très haut. J’ai vraiment pas envie de grimper la dessus… j’ai en mémoire les images d’un monologue de Lise Dion.

Je vais aller prendre une marche en attendant, que j’annonce en sortant sous la pluie comme une cas dingue car bien sûr, mon parapluie est dans mon auto qui est déjà montée sur le lift.

Ma marche est de courte durée. Quand je reviens, y’a une chaise de libre. Le monsieur est à la machine à peannuts. Vite je saute dessus. Sur la chaise, pas sur le monsieur. J’essais de me détendre, de respirer.

- Vous faites de la mécanique ici ? que je demande pour briser cet insupportable silence. Avant même que le gros monsieur réponde, mes pensées se mettent à s'affoler... Zut! j’ai pas vu la pancarte, j’espère que je suis pas chez Joe Mécanique, j’vais avoir l’air folle… c’est un garage… font forcément de la mécanique… j’ai juste envie d’aller me cacher sous un tapis de char.

Un peu mais on fait surtout des silencieux et des freins, qu’il me répond. Ouf! Sauvée! J’ai pas l’air nounoune. On faisait de la mécanique mais les moteurs ne sont plus ce qu’ils étaient, qu'il ajoute.

En effet, avant, les moteurs c’était de la mécanique, aujourd’hui c’est de l’électronique, que je réponds avec une fausse assurance et un air de simili-connaisseuse-de-mécanique.

Je guette les réactions… deux des trois hommes hochent la tête en guise d’approbation… je suis soulagée.

Il n’y a plus de lourd silence… ils se remettent à parler… de char bien sûr.

Deux hommes partent, le troisième reste.

- J’ai eu une bad luck samedi, dit soudainement le gros monsieur à la grosse moustache en s'adressant à moi.

De nouveau, un étrange silence s’installe… je ne le comprends pas.

- Une bad luck ? que je répète pour briser ce foutu silence.

Il respire profondément, regarde le garage et dit : Oui, j’ai perdu mon fils.

Mes pensées s’embrouillent… perdu son fils ? Il l’a perdu au centre d’achat? Il est allé à la chasse et n’est pas encore revenu? Aucune de mes pensées n’était cohérente.

Il est décédé d’une crise de cœur, il n'avait que 40 ans, qu’il dit finalement.

Le choc ! Je m’attendais à n’importe quoi mais jamais à ça.

Les clients me demandent ce qu’on fait ici (j’ai compris que la dame dans le bureau était sa femme)… si on reste chez nous, on s’assis à table pis on pleure tous les deux… aussi ben être ici, qu’il ajoute.

Vous avez raison. Que dire? Y’a rien à dire! J’ai rien dit d'autre. Je l’ai juste regardé. Il s’est levé pour raconter l'histoire et là j’ai vu un colosse le cœur en miettes qui se battait de toutes ses forces afin de retenir le torrent qui voulait faire sauter le barrage.

J’ai tenu ma chaise à deux mains pour ne pas me lever et aller lui faire un gros câlin. J'aurais peut-être dû... je sais pas.

Il s’est excusé et est allé dans le garage.

Je vais faire brûler une chandelle ce soir pour votre fils, que j’ai dit en sortant.

Sa tristesse m’a rentrée dedans comme un coup de poignard et j’ai eu du mal à contenir la pluie qui débordait de mon cœur. Je suis passée par la pharmacie acheter une chandelle parfumée et c’est à la lueur de cette chandelle que je vous partage maintenant cette trop trop triste histoire.

Des pneus aux larmes...

Et si vous allumiez à votre tour une petite bougie aujourd’hui pour apporter un peu de lumière aux gens qui souffrent ? Vous voulez bien?

12 commentaires:

  1. J'ai beaucoup de compassion dans mon coeur pour ces gens...Perdre un être cher est toujours douloureux. La semaine prochaine, je vais justement aller à l'Oratoire St-Joseph pour allumer des Lumières ( lampions ) pour ma maman...j'en allumerai un pour eux...promis! Cette expérience prouve de nouveau la fragilité de notre vie. Il est tellement important de dire que nous les aimons aux gens qui sont précieux à notre coeur...je profite donc de l'occasion pour vous dire combien vous êtes importante chère Fée des Bois.

    Amicalement,

    André

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  2. je me suis levé, allumé la chandelle, j ai séché mes larmes,
    j étais figé avec toi sur la chaise en lisant, j aurais voulu prendre sa peine déchirante je ne peux que reprendre mon souffle, regarder la flamme, me sentir en vie.
    Merci Fée,
    loudesbois

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  3. Je m'attendais à l'histoire classique de garagiste à misogynie imbécile...
    Et me voilà au coeur de la Tragédie...
    Sacrée douche froide...

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  4. Merci André
    J'en profite également pour vous dire que vous êtes aussi important pour moi. Que vos mots laissés ici me font toujours du bien, qu'ils me donnent des ailes.

    Merci loudesbois
    Quelle magnifique et touchante réflexion. Tu as une grande sagesse. Aujourd'hui, pour me sentir en vie, je vais sortir, m'entourer de beau.

    Merci Ecrit sur la vitre
    C'était en effet un revirement très inattendu.

    Profitez bien de cette magnifique journée remplie de soleil.

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  5. Tes aventures au garage avec la défente "Suzu" s'emble prendre un nouvel essort avec ton Echo.
    Toujours aussi gamine Aly....
    Triste expérience pour un simple changement de pneu....
    Bonne journée!
    Mafalda ;-)

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  6. Chère fée des bois, la synchronicité de la vie t'a conduit vers ce garage pour que ta lumière puisse panser le coeur de cet homme en deuil. J'envoie à mon tour de la lumière pour tous ceux qui souffrent afin qu'ils puissent trouver en eux la force et le courage. Merci Fée. xxx

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  7. Chandelle allumée, cœur chavire. Que nos mémoire se souviennent de la fragilité de la vie. Profitez bien de chaque moment qui vous sont donnes.

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  8. Merci !!!

    L'essentiel est dans vos message... profiter et apprécier de chaque moment car ce temps est très précieux.

    D'ailleurs, je dispose encore d'une douzaine d'heures aujourd'hui... je sors en profiter.

    Passez une très agréable journée !

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  9. Oh! Au début, je riais.

    J'ai même pensé: "Tiens, une Ponson du Terrail".

    Mais ton histoire est plutôt triste et émouvante.

    La vie nous réserve parfois de bien mauvaises surprises.

    Une pensée pour ces gens...

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  10. J'en ai les larmes aux yeux, parfois la vie nous fait vivre des choses pour nous dire "tu sais ce n'est pas si grave, il y a pire". Ta psychanalyse c'est faite toute seule.
    J'offre une belle pensée à cet homme et son épouse.

    Josée

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  11. Fée, quelle coeur et âme sensible et belle tu es... Ton billet, si bien écrit et à la fois terriblement émouvant. On pourrait y être...
    Ce soir un inconnu su coeur démoli a reçu beaucoup d'amour.

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  12. Merci ! Très très émouvant !

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