Les évènements

ne causent pas les émotions

En attendant que l'inspiration se pointe de nouveau, j'en profite pour mettre un peu d'ordre dans mes piles de textes.  J'ai retrouvé cette aventure qui m'est arrivée en 2007 et j'avais envie de la partager avec vous.  

L’histoire commence un matin à la fin de l’hiver. Nous sommes quatre amies réunies pour prendre un café et jaser.  Le principal sujet : les événements ne causent pas les émotions.


Une des quatre, la Fée du Lac est sincèrement offusquée : « C’est quoi cette histoire là ?!? C’est sûr que les événements causent les émotions !!! Si mon conjoint meure demain, si je perds mon job, si mes enfants se blessent… c’est sûr que ça va me causer des émotions ! » 


Et elle bougonne… en fait elle bougonne et nous obstine tout au long de la conversation.


Plus tard dans la journée, elle et moi nous allons faire quelques courses au village… et elle bougonne encore… toujours sur le même sujet. 


Sur le chemin du retour, au beau milieu de la route, une bête est là, immobile… est-ce un loup ? un coyote ?


En s’approchant, nous voyons qu’il s’agit d’un chien… tout piteux. Elle immobilise la voiture près de lui et baisse sa fenêtre. Le piteux pitou vient déposer sa tête avec ses grands yeux tristes sur le bord de la vitre et pousse un long et profond soupir.   « Oh!  Un chien abandonné » dit la Fée du Lac.  « Peut-être qu’il est affamé, peut-être qu’il a soif… depuis combien de temps traîne-t-il dans les bois… faut faire quelque chose » qu'elle ajoute avec un ton d'urgence.


Nous descendons de la voiture. Le chien a des médailles autour du cou… bon signe… ce n’est pas quelqu’un qui l’a abandonné comme ça arrive souvent dans les secteurs où il y a des chalets… «Faut retrouver son maître… il doit le chercher… il doit être triste» me dit la Fée du Lac.


Nous tentons de convaincre le chien d’embarquer dans la voiture. Il ne veut rien savoir. Je m’assois sur la banquette arrière, les deux portes ouvertes et je l’appelle. Rien à faire, il fait mine d’embarquer et se sauve en courant autour de la voiture. Finalement, la Fée du Lac décide d’embarquer elle-même le chien. C’est gros un labrador… très gros et très fort... surtout quand il décide qu’il n’embarquera pas dans la voiture. Imaginez la scène: le chien, les pattes avant dans la voiture essayant désespérément de breaker , le cul dans les airs, une Fée qui pousse dessus et l’autre Fée qui est tordue de rire.


Finalement elle réussit. Une chance qu’il est sage en voiture. La Fée du Lac imagine mille scénarios : « Peut-être que c’est une non-voyante qui était partie faire de la raquette, qui est mal pris dans le bois et qui a envoyé son chien pour avoir du secours ??? Peut-être que … peut-être que…»  Elle n’en finissait plus d'élaborer des scénarios « Peut-être que je ferai la première page du journal pour l’avoir sauvé ? Peut-être même que je recevrai la médaille du Gouverneur ?»


Nous le ramenons à la maison au grand désespoir de mes cinq chats. Je n’ai pas de bouffe à chien à lui offrir…  je lui offre donc de la bouffe à chat… il n’en veut pas… pas si affamé que ça le chien. Je lui mets un bol d’eau. Il n’en veut pas non plus. 


La Fée du Lac poursuit ses réflexions « Il est sûrement trop stressé, il veut nous dire quelque chose... s'il pouvait parler, il en aurait long à raconter pauvre p'tit chou. »


Je téléphone au numéro inscrit sur les médailles. Comble de chance, le chien vient d’être enregistré il y a deux jours, le gentils monsieur n’a pas les informations, il doit donc me rappeler. On attend fébrilement le retour d’appel. Pendant ce temps, le chien explore la maison et les chats sont tous juchés sur les plus hauts meubles. Finalement le gentils monsieur appelle et nous donne le nom, le numéro de téléphone du propriétaire ainsi que son adresse.


Sans tarder j’appelle la famille. C’est le répondeur… en anglais… bon je sors mon plus bel anglais, bref je baragouine pour leur dire que nous avons trouvé leur chien. 


«Peut-être que ce chien appartient à une famille, qu’ils sont tous dehors à le chercher partout désespérément, que les enfants ont beaucoup de chagrin, il est tellement fin! » me dit tristement la Fée du Lac. 


J’appelle de nouveau afin de rassurer la Fée du Lac et cette fois je laisse comme message : «We have your dog, stay home, don’t move, we arrive».


«Rembarque le chien, nous allons aller le ramener chez lui» que j'annonce à la Fée du Lac.  Le chien était encore tout énervé et pour l'embarquer dans la voiture… c’était comme pour la première fois… il ne voulait rien savoir.  Avec beaucoup de persévérance, on a fini par y arriver.  


Plus j'approchais de l'adresse du propriétaire, plus un malaise grandissait.  On s'approchait étrangement de l'endroit où on l'avait embarqué.


« Je crois que le chien était devant sa maison » que je dis inquiète à la Fée du Lac. « Je ne crois pas que nous l’ayons sauvé, je crois plutôt que nous l’avons kidnappé ».  « Impossible! Y’avait pas de maison autour ! » qu’elle me répond. 


Aussitôt elle repart dans ses scénarios : « Mais si c’était le cas… et si les proprio nous avaient vu embarquer leur chien… et s'ils avaient pris mon numéro de plaque... et si la police était à nos trousses ? Et si je passais dans le journal mais pas pour les raisons que je croyais ? »


Finalement nous voyons l’adresse sur une boîte aux lettres. Effectivement, la maison était cachée derrière les arbres c’est pourquoi nous n’avions rien vu mais le chien, on l'avait embarqué à … 200 pieds de sa maison. 


Le proprio qui fendait du bois dans sa cour nous voit arriver, reconnaît son chien dans la voiture et écarquille les yeux.  « This is MY dog!?! » 
 « Yes, we gave him a car ride»  que je bafouille. 
 « Il se sauve toujours » qu’il ajoute dans un français impeccable « Il était loin? » 
 « Ah! Oui! Très loin, très très loin, très très très loin, far far away» s’empresse de dire la Fée du Lac en gesticulant avec un maximum d’amplitude.


Pendant ce temps, le chien qui, étrangement, n’avait plus l’air piteux du tout, sautait partout et se roulait par terre… sûrement de rire.


Le proprio du chien avait un air qui m’était familier… 
« Vous avez sorti une voiture du champs pas loin d’ici il y a quelques années? » que je lui demande. 
« Oui, c’était glacé et une femme avait pris le champs… je ne sais pas c’est qui »
« C’était moi ! » 
« Ben là, on est quitte, je vous ai sauvé pis vous avez sauvé mon chien »
« Euh… oui... c'est cela, nous sommes quitte»

« C’est vrai que ce ne sont pas les événements qui causent les émotions mais toutes les idées qu’on s’en fait… j’ai bien compris la leçon » me dit la Fée du Lac sur le chemin du retour.