samedi 5 mars 2011

Le parfum

me monte au nez


J’avais écrit hier que je vous raconterais ce qui est arrivé quand on a embarqué un monsieur très âgé qui faisait du pouce. Voici donc l’histoire.

Le monsieur faisait du pouce sur le bord d'une route de campagne à l'entrée d’un village pas très loin de chez moi. En fait, il était plus que sur le bord, il était quasiment dans la rue, plus précisément dans ma voie. Je me suis immobilisée, pas tant pour lui proposer d’embarquer que pour éviter de l'écrapoutir.

- Je vais à St-Jérôme, qu’il dit.
- Moi aussi, embarquez, que je me suis entendue lui répondre spontanément, devant le regard étonnée de la Fée du Lac qui m’accompagnait.

Le monsieur a pris place à l’arrière, a attaché sa ceinture et nous sommes repartis.

- Pourquoi marchiez-vous dans ce sens là ? demanda la Fée du Lac au monsieur.

En effet, avant de m’arrêter, j’avais remarqué qu’il avançait dans notre direction, soit en sens opposé à l’endroit où il désirait se rendre. Étrange.


Pas de réponse.

J’ai pensé qu’il était un peu sourd.

- Comme ça vous allez à St-Jérôme ? que j’ai répété d’un ton plus fort en prenant soin de bien articuler.

Rien. Pas de réponse. Je le voyais bien dans mon rétroviseur. Il n'avait aucune réaction.

- Monsieur, vous habitez dans le coin ? que j’ai répété encore plus fort.

Toujours pas de réponse. Même pas un grognement.

Je crois qu’il est sourd, m'a murmuré la Fée du Lac. Je crois bien qu'elle avait raison. Il n’avait aucune réaction. Nous avons renoncé à lui faire la conversation.

L’homme avait un étrange comportement. Il regardait frénétiquement à gauche puis à droite. Dans mon rétroviseur, je le voyais très bien. Si je le voyais, c’est qu’il pouvait aussi voir mon regard… mais jamais il ne m’a regardé. C’était gauche, droite, gauche, droite tout le long du trajet. Peut-être étais-ce un TOC (trouble obsessif compulsif). Il avait de beaux yeux bleus brillants mais parce qu'il gardait la bouche entrouverte et la langue sortie, ça lui faisait une drôle de tête. En fait la langue n’était pas entièrement sortie… comment vous expliquer… appuyez le bout de votre langue à l’intérieur de vos dents d’en bas et sortez le milieu de la langue… comme si vous vous sortiez la bedaine. Vous avez maintenant l'image. Oh! Vous êtes beaux ! lol

J’ai entendu la Fée du Lac renifler de petits coups. Je comprenais très bien pourquoi. Le monsieur sentait mauvais, très mauvais. Tellement que ça me donnait la nausée. À plusieurs reprises j’ai pensé immobiliser l’auto à une intersection et lui dire qu’on tournait ici, qu’il fallait qu’il débarque mais je ne l’ai pas fait. Le trajet était long, très long, très trop long dans ce silence enveloppé d'odeurs nauséabondes. On restait stoïques, sans grimacer, il n’était surtout pas question d’embarrasser le monsieur.

Au dernier village avant St-Jérôme je me suis arrêtée à un feu rouge.

- Je vais débarquer ici, dit le monsieur en se garochant presque en bas de l’auto. Il me reste à peine un mile, je vais le faire à pied.

On était très surprise de cette réaction subite. Avant même que la lumière repasse au vert, le monsieur avait refermé la porte derrière lui et était déjà rendu au loin.


- C’était épouvantable cette odeur ! que j’ai dit à la Fée du Lac après quelques minutes.
- Je sais, mon nez ne cessait de bloquer.
- Chanceuse
- Pas tant que ça, j’avais un choc chaque fois qu’il débloquait. Je crois que c’est un monsieur qui travaille fort, depuis longtemps.
- C'était une trop forte concentration d'odeur de pas propre. J'en ai les yeux qui piquent. Peut-être qu’il fait froid chez lui et qu’il n’a pas enlevé son habit de skidoo depuis le début de l'hiver?

On avait tout plein d’hypothèses pour tenter de justifier cette odeur persistante.

Rendues dans le stationnement du restaurant, nous avons décidé de marcher un peu avant d’entrer histoire de s’aérer les cloisons nasales et d’apaiser notre état de traumatisme.

Une fois à l’intérieur, nous n’avons pu nous empêcher d’en parler de nouveau.

- Tout est tellement aseptisé maintenant... peut-être qu'on a la sensibilité olfactive à vif... sommes-nous maintenant trop intolérantes aux odeurs naturelles tu crois? demanda la Fée du Lac.

- On vit en société, on vit les uns près des autres. Il y a des limites à respecter.

Le déjeuner était délicieux. Ça sentait le bon café chaud et la bouffe réconfortante.

- Pôv monsieur, dit soudainement la Fée du Lac, c'était peut-être difficile pour lui aussi.

- Mais non, il ne devait plus sentir son odeur... après un certain temps, on s'habitue et on ne la sent plus.

- Pas son odeur... la nôtre.

- Comment la nôtre ? Comment ça c'était peut-être difficile ? Je vois pas pourquoi. Je sens bonne, tu sens bonne… au contraire, ça devait être plaisant, que je réplique un peu agacée.

- Pas forcément.

- Comment ça pas forcément ? Je me suis lavée, crémée, hydratée, badigeonnée et parfumée. Je sens bon, très bon même.


- Et moi je me suis lavée les cheveux avec le shampoing aux fruits, j'ai pris un bain à la lavande et j’ai fini ma toilette en me poudrant généreusement. Ça fait beaucoup de parfum tu trouves pas? Peut-être que le monsieur était habitué à une odeur plus "naturelle", peut-être qu’il trouvait ça insupportable? Il y a des gens qui sont intolérants aux parfums tu sais.


Je n’avais pas pensé à ça dans cette perspective… Tout à coup, l'histoire faisait une culbute.

Peut-être qu'il trouvait que c'était une trop forte concentration d'odeurs artificielles? Peut-être que ça expliquait la brillance dans ses yeux bleus? Peut-être qu'il suffoquait, que s’il avait la langue sortie et les yeux écarquillés qui regardaient avec agitation d’une fenêtre à l’autre c’est tout simplement qu’il cherchait de l’air ? Il n’avait probablement pas de TOC finalement. Ça expliquerait pourquoi il voulait absolument sortir de l’auto même si on était encore dans le village voisin… ça expliquerait aussi pourquoi il était prêt à marcher un mille… il voulait probablement s’aérer les cloisons nasales et apaiser son état de traumatisme.

Voilà une toute autre perspective !

Il n'était tout de même pas question de l'embarquer de nouveau si je le croisais sur le chemin du retour. De toute façon, si ce dernier scénario était réaliste et qu'il nous reconnaissait sur le chemin du retour, il y a de fortes chances qu’il se «pitche» derrière un banc de neige pour ne pas être vu.


Croyez-vous que je peux sortir respirer le prochain "pouceux" avant de l'embarquer?


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7 commentaires:

  1. J'ai au cours de ma vie vérifié qu'en amour, le plaisir qu'on prend aux odeurs corporelles de l'autre, comme ça, sans after-machin, sent-bon-sous les bras ou autre parfum, aussi coûteux et délicat qu'il soit, est l'indice infaillible de... la réelle attirance...
    On raconte ainsi que Napoléon, annonçant à l'Impératrice son retour de campagne, lui demandait, en l'attendant, de ne pas se laver...
    Mais c'est une histoire de Français qui, comme on sait, ne se lavent jamais!

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  2. ouep...vous deviez sentiez les poupounes hahahah :)
    Merci de ces fou rire, a cette balade tant visuelle, qu olfactive.

    n.b. pis oui j ai fait la langue bedaine comme tu demandais

    (ca devait y faire une porte scellé a odeur)
    parfois je voyais un homme des bois, coureur, trappeur, musher, itinérant, fuite, fugue...
    miroir miroir dis moi ce que je sens
    lala lala ding dong madame Avon
    Loudesbois ...Merci!!!

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  3. Merci Écrit sur la vitre ! L'odeur de l'être aimé est la plus douce, la plus réconfortante. L'odeur des bébés nous donne envie de les croquer. :) Une odeur peut nous transporter instantanément dans le passé; la mémoire olfactive possède cette puissance.

    Merci Loudesbois ! Ta description du monsieur est très juste... d'ailleurs encore ce matin on n'arrive pas à déterminer lequel des titres que tu énumères était le sien.

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  4. Tu m'as bien fait rire ! L'histoire en elle même et puis la situation !!! Il m'est arrivé quelque chose de semblable une fois avec un monsieur qui avait sa roue de mobylette crevée et qui essayait à tout prix de monter dessus en courant et en tombant à chaque fois... nous l'avons emmené chez le garagiste avec son engin dans le coffre... et ce monsieur qui était sourd et parlait en patois, sentait TRES TRES mauvais !! Mais bon, je préfère quand même sentir le parfum, même un parfum que je n'aime pas plutôt qu'une odeur aigre de saleté, d'urine et de sueur... !

    Mais ce qui me fait hurler de rire c'est le verbe "écrapoutir" j'adore ce mot ! Nous on dirait "écrabouiller"... est-ce que cela te fait rire aussi ?
    Gros bisous ma fée des bois et n'oublie pas d'embrasser la fée du lac pour moi, je pense à elle très souvent depuis la biche dans la neige... !

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  5. Merci Pétales de fées !!!

    Moi c'est le mot "écrabouiller" que je trouve drôle lolll

    Merci beaucoup des si gentils messages que tu me laisses chaque fois. J'apprécie énormément.

    Un très grand merci !

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  6. Merci encore de m’avoir fait rire. Fait moi penser de vous racontez mon expérience un peu similaire .Moi ça fait 17 ans et j’en rie encore.
    Dizigotemom.

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  7. Je suis contente de ne pas m'être trouvée dans votre auto! Hahaha!

    J'ai mal au cœur juste de le lire.

    J'ai écrit un billet en 2006, sur les odeurs.

    http://lili-genevieve.blogspot.com/2008/07/le-dimanche-29-octobre-06-noale.html

    Si tu veux le lire, Fée des bois.

    (Tu n'es pas obligée d'inscrire mon commentaire...je ne veux pas me faire de la pub...hihihi!)

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