pour que tout bascule.
Je vous raconte l'accident que je viens d'avoir... parce que c'est tout frais et que j'ai besoin d'en parler.
Il était 10h15 jeudi matin, je roulais 70km dans une zone de... 70.
J'allais donner une formation à Ste-Adèle et j'avais rendez-vous avec Copine à mi-chemin, au Loco Local à Morin Heights, un mini-resto charmant, tenu par deux propriétaires toutes aussi charmantes. Au bureau, j''avais déjà annoncé que je prenais congé le lendemain, j'allais passer la journée avec ma petite fille toute neuve. Tout allait pour le mieux.
Je roulais depuis 10 minutes à peine sur la 158 quand le conducteur qui arrivait en sens inverse a subitement décidé, allez savoir pourquoi, de faire un virage en U juste devant mon nez. De plus, comme il s'est aperçu qu'il ne pouvait le faire d'un coup ben... il s'est immobilisé perpendiculairement au beau milieu des deux voies.
J'ai mis moins de 2 secondes à réaliser qu'il ne bougeait pas. J'ai appuyé sur le frein à fond et la main sur le klaxon espérant qu'il avance, qu'il recule, qu'il fasse quelque chose. J'ai entendu mes freins sur l'asphalte, j'ai mesuré la distance qu'il me restait entre le devant de son auto et le fossé et je me suis tassée du plus que j'ai pu mais l'espace était insuffisant. Il y a eu impact et mon auto a ensuite fait un vol plané dans le fossé que j'essayais d'éviter.
Je ne me souviens ni de l'impact, ni du vol plané. Je suis restée dans mon auto, immobile... presque... j'ai bougé tout doucement mes doigts, mes mains, mes bras... mes pieds, mes jambes... ma tête... ça me rassurait. Plein de gens sont arrivés dont un monsieur très gentil qui m'a demandé comment j'allais.
Mon corps va bien... je crois... tout bouge, que je lui ai répondu en sanglotant mais moi je sais pas.
Il y avait soudainement tellement de monde autour de moi... me semble avoir passé mon temps à dire
"Vous êtes qui?" Une dame au cellulaire me dit de rester dans l'auto, qu'elle est en ligne avec les secours.
"Vous êtes qui?" Je travaille à côté, qu'elle me répond. Il y a du monde partout mais je ne vois pas vraiment qui c'est... je me sens confuse... je pense à tous ces projets qui viennent d'être chamboulés en trois secondes et quart.
Vous pouvez descendre ?, me demande un homme.
"Vous êtes qui vous?" "Le chef pompier". La portière n'ouvre pas et bien sûr c'est aujourd'hui que j'ai décidé de porter une jolie jupette... j'espère qu'il me fera pas sortir par la fenêtre devant tous ces spectateurs. (Remarquez que j'ai toujours écouté les conseils de ma grand-mère qui me disait qu'il fallait toujours avoir des culottes propres au cas où on aurait un accident... c'était toujours ça de gagné)
Ah ! Vous me demandez de sortir par le côté passager ? Je vais essayer. Je donne mon sac à main à quelqu'un, j'sais pas qui, mes sandales à talons à quelqu'un d'autre, j'sais pas qui non plus. Des personnes m'aident à sortir et à aussitôt m'asseoir dans une chaise de parterre que quelqu'un, j'sais pas qui, a mis là, juste sur le bord du fossé.
Les ambulanciers arrivent... prennent mon pouls, ma pression... me taponnent le dos... me demandent si je veux aller à l'hôpital.
Je sais pas, je sais plus, je ne suis pas en mesure de prendre des décisions je crois, que je leurs ai répondu.
Faites ce que vous croyez qu'il faut faire... ça va être correct. La police arrive. Qu'est-ce qui s'est passé madame ? Avant même que j'aie le temps de répondre, un homme, un vietnamien peut-être avec un drôle de chapeau surgit de je ne sais où.
"It's my fault, it's my fault... I did a U-Turn... what can I do ? I will pay! It's my fault!" Le deuxième policier l'a amené plus loin.
J'arrivais pas à sortir mon porte feuille tellement je tremblais... j'ai demandé à quelqu'un... j'sais pas qui... de le faire pour moi.
Voici mon permis, voici mes cartes... prenez tout ce dont vous avez besoin.Donc, les ambulanciers m'ont dit qu'il valait mieux aller à l'hôpital puisque j'avais un mal de bloc et une pression dans la nuque. Ils m'ont installé un collet cervical qui m'a fait un bien fou.
"Ah!!!!! Merci, ça fait tellement de bien !!!" "C'est habituellement pas ce que les gens nous disent", qu'ils ont répondu étonnés.
Laissez-vous aller madame, on va pencher la chaise par en arrière et vous allez glisser, m'ont dit deux ambulanciers que je trouvais relativement chétifs.
Z'êtes sûr ? J'vous trouve pas ben gros et je ne suis pas vraiment un poids plume vous savez... j'ai décidé de faire confiance et au compte de trois ils ont renversé la chaise. Je n'ai posé aucune résistance, j'ai suivi la vague. La suite je ne le sais pas trop... Collègue m'a raconté qu'ils m'avaient mis dans un genre de bateau gonflé qu'ils avaient remonté le long de mon corps et que quelqu'un avait activé une pompe pour le souffler encore et encore avant de m'attacher bien serrée. Elle trouvait que j'avais l'air très coincée. Je me sentais étrangement bien.
"Ah! Merci, ça fait tellement de bien", que j'ai dit aux ambulanciers...
"Les gens ne nous disent jamais ça", qu'ils m'ont répondu encore plus étonnés.
Dans l'attroupement de personnes inconnues j'ai soudainement vu un visage familier... c'était Compagne de travail qui m'a envoyé un bisou soufflé. Ça m'a tellement fait de bien de voir quelqu'un que je connaissais, comme si tout à coup un soleil venait de percer le ciel gris. Je me suis aussitôt sentie rassurée.
Avant que l'ambulance parte, une voix féminine m'a dit que mon auto serait remorquée chez X près de l'ancienne raffinerie ou quelque chose du genre.
Je n'ai aucune idée de quoi vous me parlez... pouvez-vous me l'écrire et mettre le papier dans mon sac à main, je le lirai quand j'aurai repris mes esprits... et... à part ça, vous êtes qui vous? ... j'vous vois pas.
Je suis la policière! qu'elle me dit en apparaissant soudainement comme pour faire un coucou, juste au dessus de moi dans l'ambulance, à deux pouces de mon nez.
Enchantée madame.
J'oubliais... après qu'on m'ait mis le collet cervical j'ai revu le monsieur vietnamien. Il était en panique...
"Serious injure? Serious injure?" qu'il répétait sans cesse.
"Come here... come here I said", que je lui dit... il n'osait pas approcher...
"Come here", que j'ai répété sur un ton non-négociable.
"Maybe it's serious but maybe it is not... but this is just an accident" (je voulais parler de l'expression... comme lorsqu'on casse quelque chose et qu'on dit que c'est juste un accident... je ne réalisais pas que l'expression ici... ça marchait pas... car en effet c'était un accident)
Il ne m'écoutait pas... même pas certaine qu'il était derrière ses yeux...
"Give me your hand"... il a hésité...
"Give me your hand I said"... j'ai pris sa main, je l'ai regardé dans les yeux même s'il n'y était pas et je lui ai dit...
"It's just an accident but you never do U-turn again." À l'hôpital tout s'est passé vite... vite au triage... Bougez surtout pas madame qu'on me disait. Vite le médecin...
Pouvez-vous vous asseoir ? Avez-vous mal ici ? Non. Là ? Non. Ici ? Non. Enlève le collet.
Et là ? Non. Ici non plus ? Non. Finalement je m'en tire avec zéro ecchymose, zéro égratignure, rien d'autre qu'un choc nerveux et une raideur à la nuque.
Même pas deux heures se sont écoulées entre l'impact et le moment où le médecin m'a donné congé et que je suis ressortie sur mes deux jambes en jupette et en talons, comme si rien ne s'était passé. Assez miraculeux je trouve.
Il doit y avoir aujourd'hui, quelque part dans le ciel, des anges bien épuisés.
"Ok, vous pouvez repartir chez vous, qu'il m'a dit,
mais sachez que demain vous allez vous sentir comme si toute l'équipe de foot de l'université vous avait plaquée. Ça va faire mal, très mal demain.".
"Merci docteur, c'est charmant de me rassurer ainsi.""Et y a-t-il des signes à surveiller?" que je lui demande étonnée et inquiète d'un aussi rapide congé.
"Pas vraiment... juste si votre entourage commence à trouver que vous avez un comportement anormal." C'est pas vraiment rassurant ça non plus docteur. Je me suis abstenue de lui dire que je cause aux fleurs et aux vers de terre.
Collègue est venue me chercher à l'hôpital... sont tellement chouettes mes compagnes de travail... je les adore! Elles ont appelé toutes les participantes de mon cours pour ne pas qu'elles se déplacent, elles ont appelé au resto de Morin Height pour que la proprio avise Copine, elles ont même rassuré mes filles qui habituellement n'appellent jamais au bureau sauf... ce matin.
De retour à la maison, Copine est partie travailler... y'avait plus personne pour me dire si j'avais l'air anormal... j'ai dû demander aux Fées et aux Gnomes qui vivent dans mes jardins.
Depuis, je vais bien... à part un petit mal de bloc... je me détends chaque fois que je me sens crispée parce que mon corps a tendance à se contracter... réflexe normal j'imagine. J'essais de me reposer. Je me sens d'un étrange calme que je ne me connais pas... je parle lentement, je bouge lentement... tout est lent... comme si j'étais engourdie... sûrement une réaction suite au choc.
La conclusion maintenant...
Elle vécu heureuse, prépara une pommade magique, quelques infusions relaxantes et attendit fébrilement l'arrivée de l'équipe de foot qui finalement... à sa grande surprise, ne se pointa pas.
La morale maintenant...
On l'a entendu des dizaines de fois je sais mais comme je viens d'en faire l'expérience, j'ai tout de même envie de la répéter: Profitez pleinement de chaque instant car tout peut vraiment basculer en quelques secondes.
J'ai été chanceuse, très très chanceuse. Merci la Vie !
.........................................FIN