La journée du 21-12-2012
ne laissait personne indifférent.
Pour certains, ce serait la fin du monde,
pour d'autres, la fin de ce monde,
pour d'autres encore ce serait un grand changement
au niveau de la conscience, on passerait à un autre niveau.
Les gens se joignaient à des groupes
qui partageaient leurs convictions.
Certains faisaient des plans, des tonnes de provisions,
certains s'armaient même.
J'ai lu dernièrement que la vente d'armes à feu
était à la hausse aux États-Unis.
Certains s'habillaient de blanc et
organisaient de grands rituels afin d'accueillir
ce nouveau monde qui naîtrait de lui-même,
d'autres avaient peur, d'autres encore s'en moquait.
Certains avaient décidé de faire l'amour,
juste au cas où.
De mon côté, je ne savais trop que penser de ce 21-12-2012.
Je n'avais pas peur. Si c'était la fin, ça le serait pour tous.
L'idée d'un changement dans la conscience me plaisait bien.
Après les infanticides des dernières semaines,
il fallait que quelque chose change.
Le monde ne pouvait continuer
de sombrer, sombrer et sombrer encore plus.
Je souhaitais vivement que les gens
qui croyaient à ce changement
aient raison.
Dès, le lever ce matin du 21 décembre,
j'ai tiré les rideaux et regardé à ma fenêtre.
Qu'espérais-je y voir? Un changement?
Il avait beaucoup neigé durant la nuit.
Rien d'anormal pour cette période de l'année.
Les chats, qui avaient maintenant un abri bien chaud
s'amusaient autour de la bonnefemme de neige.
Ils se guettaient sur le coin d'un sentier, se faisait des peurs,
se sautaient dessus, bref, ils jouaient comme des chats heureux.
Encore de la neige à pelleter!
Étrangement, cette idée ne m'accablait plus autant
que les années précédentes.
Ça me fera prendre l'air et faire de l'exercice, ai-je pensé.
J'étais surprise par ma propre réflexion.
Qui sait... ça faisait peut-être partie
du changement de conscience annoncé?
Aussitôt la dernière goutte de café infusée, panne d'électricité.
L'abondance de neige des derniers jours avait causé des pannes fréquentes mais celle-ci était différente. Je savais qu'elle durerait.
Comment je le savais? Je ne sais pas.
J'ai allumé le feu dans le poêle à bois et j'ai mis de l'eau à bouillir.
La Fée du lac s'est mis en charge de faire des toasts
directement sur le feu, à l'aide d'une vieille râpe à fromage.
C'était bon !!!
Ça goûtait l'été au camping de ma grand-maman.
Nous sommes ensuite sorties pelleter.
Contrairement à la neige lourde d'il y a deux jours,
celle-ci était floconneuse, facile à pelleter.
En moins de deux, c'était fini.
Avec l'eau, qui était maintenant bouillante,
j'ai préparé une pleine théière de thé Chaï. C'était réconfortant.
J'ai alors eu l'idée d'en mettre dans un thermos
et d'aller le porter chez un nouveau voisin
à qui je n'avais encore jamais parlé.
Je savais qu'il était là, je l'avais vu pelleter.
J'ai frappé une fois, deux fois, pas de réponse.
J'ai écrit "cadeau" dans la neige, j'ai déposé le thermos à côté
et je suis repartie en douce. Je trouvais ça amusant.
Pour le repas du midi,
nous avons fait réchauffer de la soupe sur le poêle à bois.
Sans électricité, il n'y a pas d'eau.
Je suis sortie pour remplir un gros chaudron de neige,
mais comment être certaine qu'il n'y aurait pas
de p'tits pipis de chat...
Euréka! J'ai eu l'idée de prendre la neige
qui était tombée sur mon auto!
Je n'ai jamais vu un chat aller y faire pipi.
J'ai dû ajouter de la neige à plusieurs reprises car le volume de celle-ci est mille fois supérieur à celui de l'eau qu'elle produit en fondant.
Ça m'amusait.
Ça m'amusait surtout parce que c'était temporaire.
J'ai eu une pensée pour les gens dont c'était le quotidien autrefois.
Pourquoi autrefois?...
En 2012, dans le monde, des gens vivent encore
sans électricité et sans eau.
Cette pensée m'a remplie de compassion.
Je savais qu'ici l'électricité serait rétablie d'ici un jour ou deux.
Comment je le savais? Je ne sais pas.
Se laver les mains dans un bol d'eau tiède est un bonheur insoupçonné.
On n'y pense plus quand on a qu'à tourner le robinet.
Après le repas, la Fée du Lac s'est lancée dans l'emballage des cadeaux de Noël alors que je m'affairais à finir de concocter les miens.
Une petite musique de Noël nous aurait mises dans l'ambiance, mais pas d'électricité, pas de musique. Coupées du monde par cette panne d'électricité, sans radio à piles, la fin du monde surviendrait que nous serions les dernières à en être informées.
Toute la journée, d'étranges coïncidences se sont succédées.
La Fée du Lac avait besoin de papier de soie?
Il y en avait.
De papier d'emballage?
Elle en découvrait du flambant neuf dans une boîte au sous-sol.
Sûrement des articles achetés en solde après les fêtes et tombés dans l'oubli au fil des mois ou même des ans.
Tout ce dont elle avait besoin et même plus encore
apparaissait chaque fois comme par magie.
Dans une des boîtes elle a trouvé un bijou représentant d'un côté
un calendrier Maya et de l'autre un quartier de lune et 3 étoiles.
- C'est à toi?
- Non c'est pas à toi?
- Non plus.
Ou bien il s'agissait d'un phénomène inexpliqué
ou bien une de nos mémoire avait des ratés.
Comme on avait déjà oublié le papier d'emballage et le papier de soie, l'hypothèse de l'oubli pour le bijou était tout à fait plausible, mais le trouver aujourd'hui était tout à fait étrange.
Je terminais la préparation de mes cadeaux quand j'ai entendu un tout petit sanglot étouffé. La Fée du Lac tenait dans ses mains un petit cadre sur lequel était écrit un poème. Le cadre avait appartenu à sa mère et les mots qu'elle venait d'y lire lui sont allés droit au coeur comme si sa mère venait de lui murmurer. Dans quelques jours ça fera trois ans qu'elle est décédée et là, à ce moment précis, elle la sentait bien présente.
Décidément, le temps est vraiment différent sans électricité. C'est fou de réaliser à quel point la télévision et Internet sont des bouffeurs de temps!
Vers 16h, la noirceur commençait à entrer par les fenêtres
et à s'installer dans la maison.
J'avais mis à mijoter sur le feu un genre de bouilli composé de légumes, d'orge et de riz. C'était... comment dire? Un bon repas, un bon repas de survie sans plus. La Fée du Lac a ensuite eu l'idée de faire fondre deux carrés de chocolat dans lequel on a trempé des petits bouts d'ananas. C'était délicieux.
Maintenant... que fait-on de toutes ces longues heures
entre le souper et le coucher?
Cette journée m'avait épuisée,
mais il était hors de question que j'aille me coucher à 19h!
La Fée du Lac a trouvé une lampe à l'huile.
Décidément, on trouve BEAUCOUP de choses dans une maison de fées.
Miracle! Il y avait, juste à côté, une bouteille d'huile à lampe de qualité, pas du genre de celles qui sentent le kérosène. Après quelques tentatives, on réalise que la mèche est trop courte, le bout ne trempe pas dans l'huile.
- Va falloir se contenter de bougies, dis-je à la Fée du Lac.
- T'es certaine qu'on n'a pas une mèche quelque part?
- Pourquoi on aurait une mèche? On n'a jamais utilisé la lampe, on n'a jamais acheté de mèche, j'en ai seulement jamais vu dans les magasins!
Alors que je me dirigeais vers le salon pour aller chercher les bougies, la Fée du Lac ouvrit le tiroir à cossins de la cuisine et en ressortie... eh! oui! Une mèche toute neuve, dans son emballage avec .99$ écrit dessus.
- D'où ça sort ?
- Aucune idée!
J'avoue qu'à ce moment j'ai eu l'idée de parler de mon compte de banque, juste au cas où quelque chose y apparaîtrait.
Une fois la lampe allumée, j'ai repris ma place à table,
pour écrire. C'est à ce moment que j'ai vu, juste devant moi, ce qu'on appelait avant une image sainte. Une petite image plastifiée du genre que me donnait ma tante religieuse quand j'étais petite.
- Qu'est-ce que ça fait là? ai-je demandé à la Fée du Lac.
- Je sais pas. J'ai dû la sortir en même temps que les autres choses alors que je cherchais la mèche. Je croyais pourtant avoir tout remis en place.
En retournant la carte, j'ai lu qu'il s'agissait de Ste-Rita. Si je me souviens bien, Ste-Rita est la patronne des causes désespérées, mais plus encore, Rita est aussi le nom de ma mère, aujourd'hui décédée.
Décidément, cette journée était de plus en plus étrange.
Y avait-il un lien avec ce 21-12-2012?
Est-ce que ma conscience venait de prendre de l'amplitude
ou étais-ce seulement une bonne journée remplie de coïncidences...
LE JOUR APRÈS
Au matin du 22 décembre, l'électricité n'était toujours pas revenue
et maintenant la ligne téléphonique était coupée.
Quand j'ai entendu passer Guy, notre déneigeur,
j'ai vite enfilé mon manteau et mes bottes pour aller aux nouvelles.
Il avait très peu dormi. Sa machinerie avait brisé et sans électricité il ne pouvait la réparer. Il s'était organisé avec la pelle d'un autre tracteur.
Il travaillait sans relâche à ouvrir les cours.
Il m'a confirmé que plus personne n'avait d'électricité ou de téléphone.
Plus tard, j'ai appris qu'une ambulance
ne pouvait se rendre à un domicile près de l'endroit ou Guy déneigeait.
Il est allé ouvrir l'entrée pour permettre aux ambulanciers d'y entrer.
Un beau geste de solidarité.
Merci Guy!
Plus tard aujourd'hui, on a frappé à ma porte. C'était France. Elle et Jean, son mari, faisait la tournée pour informer les gens que la municipalité voisine avait mis la salle communautaire à la disposition des gens qui avaient besoin d'eau, de café, de cuisiner, de téléphoner, de se réchauffer.
Un autre beau geste de solidarité.
Merci à Scott Pearce, maire de la municipalité de Gore!
Merci à France et à Jean
qui ont un coeur grand comme ça et
un sens du communautaire hors du commun!
On nous avait informé que l'électricité et le téléphone seraient rétablis à Noël, mais cet après-midi... surprise! Tout c'est remis à fonctionner!
Bien sûr, l'électricité a bien des ratés... quand les employés d'Hydro réparent un endroit, un arbre tombe sur un fil à un autre endroit.
Merci aux gars et aux filles d'Hydro
qui travaillent très fort afin que cent mille personnes
aient de nouveau de l'électricité!
Ensemble,
les humains sont capables de bien grandes choses!